Chômage, précarité : halte aux idées reçues

Chômage. Un livre pour en finir avec les bobards

La culpabilisation des chômeurs, c’est presque devenu un sport national : à droite, comme dans une partie de la gauche, on accable les demandeurs d’emploi ­ et les précaires en général ­ à grand renfort de caricatures. Un petit livre, préfacé par le réalisateur Ken Loach, entend démonter les clichés un à un (1). Florilège.
« LES CHÔMEURS NE FONT RIEN POUR TROUVER DU BOULOT… »

Ah, le bon vieux cliché du chômeur oisif, avachi sur son canapé… Usé jusqu’à la corde mais régulièrement ressorti du carton, ce lieu commun permet de justifier le « salutaire » flicage des demandeurs d’emploi. François Rebsamen, ancien ministre du Travail socialiste, n’a pas hésité à s’en servir pour légitimer sa chasse aux fraudeurs. Et puisqu’un bobard chiffré semble toujours plus solide, les obsédés du flicage agitent souvent le chiffon rouge des offres d’emploi non pourvues, dont le nombre varie selon l’orateur. La preuve, selon eux, que les chômeurs ne se donnent pas les moyens de décrocher un poste. En février 2016, Pôle emploi a fini par démonter le mythe, chiffres à l’appui. En 2015, l’organisme n’a comptabilisé que 190 000 offres non pourvues (bien loin des 400 000 citées parfois). Cette notion, rappelle l’étude, « recouvre, d’une part, les abandons, parce que l’employeur n’a pas trouvé le candidat adéquat ; d’autre part, les offres pour lesquelles aucun candidat n’a été retenu, sans pour autant que l’employeur ait définitivement abandonné ». Au final, seules 43 000 offres ont été annulées par les patrons. Et seulement la moitié d’entre elles (un peu plus de 20 000), faute de candidats ! « Non, les chômeurs ne sont pas responsables de la situation et les accuser de ne pas chercher à retrouver un emploi est une ineptie », concluent les auteurs de « Halte aux idées reçues ».

« LE CHÔMAGE ? LA FAUTE AU DROIT DU TRAVAIL ! »
C’est un grand classique, maintes fois démenti par les faits, mais toujours d’actualité. Le Code du travail empêcherait, par ses lourdeurs, la création d’emplois. Le livre s’emploie à réfuter cet argument vieux comme le capitalisme, utilisé sans discrimination à droite comme à gauche (la loi travail découle de cette croyance). Après avoir souligné que l’OCDE ellemême reconnaît la difficulté d’établir un lien mécanique entre droit du travail et taux d’emploi, les auteurs reviennent sur trente ans de flexibilisation.

95% des chômeurs perçoivent moins de 2000 euros par mois et 50% moins de 995 euros. De quoi relativiser…
« Depuis les années 1970, le système de droit social français s’est doté de possibilités de dérogations : travail à temps partiel, annualisation, contrats dérogatoires, par exemple. » Autant de réformes qui n’ont pas empêché la courbe du chômage de grimper… mais qui ont en réalité complexifié le droit du travail.

Exemple parmi d’autres : « Il existe plus de 24 contrats de travail différents, du CDI aux différents CDD en passant par le contrat de travail intermittent, le contrat unique d’insertion, le contrat de profession nalisation, l’intérim… »

« POUR TOUCHER LEUR RSA, LES ALLOCATAIRES DEVRAIENT TRAVAILLER QUELQUES HEURES »
Toujours en guerre contre l’« assistanat », la droite propose régulièrement d’obliger les bénéficiaires du RSA à travailler gratuitement. Une mesure purement électoraliste, qui renvoie implicitement à l’inactivité supposée des demandeurs d’emploi… Mais les chômeurs sont-ils réellement inactifs ? « Évidemment, non », répondent les auteurs du livre, qui donnent la liste des tâches remplies au quotidien par les demandeurs d’emploi : activités domestiques, bénévolat, garde d’enfants, bricolage, soutien scolaire… autant d’activités indispensables à la société mais non comptabilisées dans le PIB. Par ailleurs, les zélateurs du bénévolat forcé oublient que… le travail contraint est illégal. « Nous nous référons aux articles 1 et 2 du préambule de la Convention concernant le travail forcé ou obligatoire de l’Organisation internationale du travail (OIT) », écrivent les auteurs (2). Avant de conclure : « Personne ne comprend d’ailleurs à quelles sortes de “travaux” pourraient être assignés les chômeurs sinon à leur faire faire des tâches que font normalement des salariés régulièrement employés dans une entreprise ou un service public, sans pouvoir bénéficier d’un statut correspondant ! Ou bien à leur faire faire des travaux inutiles, dénués de sens, pénibles ou dégradants… »

« LES CHÔMEURS SONT TROP INDEMNISÉS ! »
Cette inusable ritournelle sert souvent de justification à l’éventuelle baisse ou dégressivité des allocations chômage. Problème : cette croyance relève avant tout d’une méconnaissance profonde de la situation réelle des demandeurs d’emploi, soulignent les auteurs de « Halte aux idées reçues ». Les chiffres publiés par Pôle emploi (juin 2015) sont formels : 95 % des chômeurs perçoivent moins de 2 000 euros net par mois et 50 % touchent moins de 995 euros. De quoi relativiser… Quant aux fameux allocataires rois qui perçoivent l’allocation maximale, soit plus de 6 300 euros par mois, ils ne sont qu’un millier dans toute la France ! Les auteurs du livre ne se limitent pas au constat : « Nous revendiquons l’indemnisation de toutes les formes de chômage et le développement et la gratuité de services publics et accessibles sur tout le territoire : éducation, transports, cantine, santé, etc. Le partage des richesses commence par là. »

« LE CHÔMAGE, C’EST LA FAUTE AUX ÉTRANGERS ! »
Une dernière pour la route. En tant que cliché préféré du Front national (et de plus en plus de responsables politiques), il méritait de figurer en bonne place dans « Halte aux idées reçues ». De nombreux travaux d’économistes ont démontré l’absence de lien entre immigration et chômage, mais, pour prouver que les étrangers ne « volent pas le pain des Français », peut-être faut-il commencer par cette évidence :

« Les immigrés ­ non ressortissants de l’Union européenne ­ ont environ deux fois moins de chance qu’un “natif” de décrocher un emploi. Cela s’explique notamment par un moindre niveau de qualification. » Mais alors, quels sont les emplois occupés principalement par les migrants ? « Ce n’est un mystère pour personne, répondent les auteurs : une bonne partie des emplois qui ne trouvent pas preneur, ceux qui offrent des conditions de travail pénibles, des salaires peu attractifs, des temps partiels et des horaires discontinus : BTP, hôtellerie-restauration, sécurité, nettoyage… » Rappelons pour finir que, depuis quarante ans, le pourcentage d’immigrés dans la population totale n’a quasiment pas bougé (autour de 8 %), alors que le taux de chômage a été multiplié par trois.

Cyprien Boganda, dans l’Humanité Dimanche du 26 janvier 2017

(1) « Chômage, précarité, halte aux idées reçues », coordonné par Jean-François Yon et préfacé par Ken Loach, est écrit par une vingtaine de syndicats et associations dont Agir contre le chômage !, ATD Quart Monde, Attac, CGT, CFE-CGC, France Terre d’asile… Éditions de l’Atelier, 240 pages, 10 euros. (2) Le texte désigne le travail contraint comme « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ».

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