Levée des brevets des vaccins : comment lutter contre les lobbies pharmaceutiques ?

En débat à la fête de l’humanité 2021
Une retranscription de l’un des nombreux débats à l’Agora de l’Humanité. On peut retrouver l’ensemble des débats sur le site www.humanite.fr
ou sur https://www.humanite.fr/mot-cle/les-grands-debats
 

Signature de la pétition pour demander la levée des brevets, lors de la Fête de l’Humanité. © Julien Jaulin/Hanslucas

Signature de la pétition pour demander la levée des brevets, lors de la Fête de l’Humanité. © Julien Jaulin/Hanslucas

Covid. Levée des brevets : comment lutter contre les lobbies pharmaceutiques ?

Mercredi 15 Septembre 2021 Gaël De Santis

Engagés dans les campagnes en faveur de la levée de la protection intellectuelle sur les vaccins, la députée européenne FI Manon Aubry, la sénatrice PCF Laurence Cohen et le cofondateur de l’Observatoire de la transparence des politiques du médicament, Jérôme Martin, ont livré, à l’Agora, leurs arguments au peuple de la Fête.

Rappel des faits Pour assurer la vaccination de la population mondiale, les pays riches abondent de quelques doses le programme Covax. Mais la production demeure insuffisante, une poignée d’entreprises, détentrices des brevets sur les vaccins et avides de profits, contrôlant la chaîne de fabrication.

Le programme Covax, par lequel les États les plus riches fournissent des doses aux pays en développement, ne suffit pas à vacciner la population mondiale. Comment y parvenir ?

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Manon Aubry    On nous a longtemps dit que la levée des brevets n’était pas utile parce qu’on avait un superprogramme de dons de vaccins, appelé Covax. Il faudrait déjà s’interroger sur la dimension « charité » de ce dispositif. La France donne à ce programme les vaccins AstraZeneca dont ne veulent pas les Français. Et on est loin de tenir les promesses. Deux milliards de doses ont été promises, seules 280 millions ont été données. Le cœur du problème est qu’aujourd’hui nous n’avons pas les capacités de production pour répondre à la demande. Les pays riches se sont arrogé 80 % des doses produites. Pour nous, l’enjeu est la levée des brevets sur les vaccins, ôter le monopole de la production à quelques entreprises pharmaceutiques. Pour cela, il y a un argument simple. L’argent public a payé la recherche sur les vaccins. Il est normal que les brevets soient dans le domaine public. Et il est anormal que de grands laboratoires se fassent de l’argent sur une pandémie. Des laboratoires comme Pfizer ont augmenté leurs marges de plus de 30 %. Les PDG des laboratoires comptent parmi les plus riches milliardaires au monde. C’est le cas du dirigeant français de Moderna, Stéphane Bancel. Les laboratoires en profitent pour augmenter leurs prix. C’est le cas de Pfizer, où la dose est passée de 12 à 19 euros, et est maintenant encore plus chère dans le dernier contrat qui n’est toujours pas rendu public. De plus, ces laboratoires planquent de l’argent dans les paradis fiscaux. Moderna a déposé son brevet au Delaware et localise ses profits en Suisse. En coulisses, les laboratoires se battent contre la levée des brevets. Les lobbies pharmaceutiques ont eu, à eux seuls, 130 rencontres avec la Commission quand des ONG comme Médecins sans frontières n’arrivaient pas à avoir de rendez-vous. Mais il y a espoir : on a tout de même ouvert une brèche au niveau européen grâce au vote d’une résolution pour la levée des brevets, en juin dernier.

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Jérôme Martin    On assiste à un transfert d’expériences et de luttes du Sud au Nord. Si l’on parle aujourd’hui de toutes ces questions autour des médicaments, des génériques, on le doit aux militants du Brésil, de Thaïlande, d’Afrique du Sud, des pays pauvres qui se sont battus ces dernières années. Que se passe-t-il actuellement ? En Afrique, seulement 2 à 4 % de la population ont eu accès à un schéma vaccinal complet. Le problème avec le Covax est de considérer la santé dans les pays du Sud comme de la charité, alors que la santé est un droit. Avec le Covax, on se retrouve avec une coquille vide où les dirigeants sont contents de dire qu’un appel d’offres va permettre de vacciner 30 % de personnes dans le monde d’ici à la fin de l’année. Cela revient à célébrer que 70 % de personnes ne le seront pas. Il y a une question de prix, évidemment, mais le problème est surtout celui d’une production mondiale insuffisante. Des pays riches ont pu avoir beaucoup de doses. Les pays pauvres n’ont pu s’aligner. Pourtant, ces derniers ont la capacité de production. Dès décembre 2020, un laboratoire en Afrique du Sud exportait des vaccins en Europe. Depuis quatre ou cinq mois, on sait que le laboratoire Janssen a mandaté un fabricant en Afrique du Sud pour l’exportation vers les pays riches, pas localement. La logique de propriété intellectuelle accorde aux laboratoires une exclusivité sur l’ensemble de la chaîne de médicament. Qu’est-ce que c’est que cette levée des brevets ? La demande déposée par l’Inde, l’Afrique du Sud et soutenue par de nombreux pays concerne non seulement les vaccins, mais l’ensemble des technologies contre le Covid. Si cette mesure est votée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), des traitements contre le Covid qui pourraient être trouvés d’ici deux ou trois ans échapperaient eux aussi aux brevets. Cela pourrait aussi concerner le matériel de protection ou de dépistage. Cette exigence se fonde au motif de l’article 9 de l’accord de Marrakech qui fonde l’OMC. Je suis donc à la Fête de l’Humanité et je vous demande de soutenir une mesure prévue par le droit libéral à l’OMC ! Rien que le fait qu’on n’arrive pas à l’obtenir montre combien la santé est sacrifiée. Quel effet aurait cette mesure ? Tout laboratoire pourra produire les vaccins ou les technologies actuellement sous brevets, sans que les détenteurs de ceux-ci ne puissent porter plainte auprès des institutions nationales ou internationales. Des indemnités seront prévues pour les détenteurs de brevets. Aujourd’hui, pour être efficace, il ne faut pas uniquement lever les brevets pays par pays, mais pour l’ensemble des États membres de l’OMC. Car, au-delà du poids de chaque nation, il y aurait des mesures de rétorsion immédiates. Tous les pays qui, depuis vingt ans, ont levé nationalement les brevets se sont pris des barrières douanières, des mesures de rétorsion des laboratoires des États-Unis, du Canada.

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Laurence Cohen    On a assisté chez nous à une série de pénuries : masques, protections personnelles pour les soignants. On assiste maintenant à un manque de vaccins, alors que ce sont les fonds publics qui servent à la recherche. Cela permet à des grands laboratoires de détourner cet argent pour faire un profit maximal, parce que la santé est considérée comme une marchandise. Quand un laboratoire considère qu’un médicament n’est pas rentable, il ne se pose pas la question en termes d’efficacité pour répondre aux besoins de santé. Il se pose la question en termes de profits. Lors d’une mission d’information à laquelle j’ai participé au Sénat, on a constaté une pénurie organisée de médicaments. Ainsi, Sanofi a abandonné 200 traitements considérés comme non rentables. Alors qu’il bénéficie d’argent public, Sanofi continue de fermer des sites. Il licencie même des chercheurs, alors qu’il ne vous a pas échappé qu’au pays de Pasteur, cette entreprise n’a pas été en capacité de sortir un vaccin, comme elle s’y était engagée, et comme il était possible de le faire. Car le savoir-faire existe : je suis en lien avec les salariés. Sanofi va aider à la production de vaccins de Pfizer ou de Johnson. C’est du bluff. En réalité, on demande aux salariés de faire du flaconnage, c’est-à-dire la mise en flacons du produit. Ils sont capables de bien plus. Si le brevet était levé, ils seraient à même de produire le vaccin. On aurait une plus grande production au niveau national comme mondial. Je veux dénoncer le fait que l’industrie pharmaceutique indienne fournit 50 % de la demande mondiale de vaccins et 70 % de vaccins essentiels. Or, la population indienne est affectée par le manque de vaccins contre le Covid. La santé est mise en danger sur toute la planète alors que Pfizer, AstraZeneca, Johnson & Johnson ont versé, pendant la pandémie, plus de 21 milliards à leurs actionnaires, sans produire davantage. Cette seule somme aurait pu permettre de vacciner 1,35 milliard de personnes, soit la totalité de la population africaine. C’est le résultat de choix libéraux. Les dirigeants savent que si jamais ils cèdent aux demandes de l’Afrique du Sud, de l’Inde, et d’une centaine de pays, ce serait la porte ouverte pour qu’on abandonne cette question des brevets, et pas seulement sur la pandémie. Cela sortirait la santé du marché.

Les libéraux et grands groupes arguent qu’une levée des brevets nuirait à l’innovation…

Jérôme Martin Si l’industrie pharmaceutique privée répand ce genre de chose, elle doit le prouver. Qu’elle montre le montant des investissements dans la recherche, qu’elle publie celui des aides publiques reçues ! Regardons l’insuline, qui a maintenant cent ans, et qui a été découverte par la recherche publique. Ses découvreurs ont décidé de faire cadeau du brevet pour un euro. L’insuline est toujours brevetée ; il y a des modifications dessus. Sanofi détient le brevet et fixe des tarifs qui sont exorbitants par rapport à ce qu’on pourrait faire si jamais on avait une production publique. Dans le cas du Covid, une étude états-unienne, publiée en mai dans la revue Vaccine, a montré que 17,2 milliards de dollars ont été donnés en vingt ans dans des recherches publiques pour développer toutes les technologies qui ont permis à Moderna, Pfizer, etc. de développer aussi vite leur vaccin. Qu’on cesse avec la mythologie des start-up qui innovent en prenant des risques. Depuis le début de la crise, un milliard de dollars d’argent public américain a été donné à ­Moderna. Lorsque cette entreprise a sélectionné un laboratoire en Suisse pour commencer la production, celle-ci a débuté en deux mois. Le vaccin à ARN, dont on nous dit qu’il est difficile à produire – raison pour laquelle on nous dit que cela ne sert à rien de lever les brevets –, a été mis en production en deux mois ! La levée des brevets est demandée depuis onze mois. Vous imaginez le nombre d’usines qui, pendant ce temps, auraient pu être mises à contribution pour répondre aux besoins mondiaux. En France et dans les pays riches, on se rend compte de l’impact de la propriété intellectuelle, y compris pour nous. On fait des chèques constants à l’industrie pharmaceutique pendant vingt ans. Comment peut-on justifier l’austérité à l’hôpital et ouvrir les vannes de l’argent public à un système dysfonctionnel par essence ?

Pourquoi défendez-vous l’idée d’un pôle public du médicament ?

Laurence Cohen On a besoin de reprendre le contrôle sur la recherche et la production. Un pôle public permettrait d’avoir la mainmise au niveau des États sur la politique de santé, les dispositifs médicaux et les vaccins. Ce serait un contre-pouvoir pour les laboratoires qui permettrait un exercice démocratique des salariés, des populations. Il faut continuer de faire monter la mobilisation pour gagner. Sinon, ce sont les laboratoires qui décideront comment répondre aux besoins des populations en matière de santé. L’heure est à sortir la santé des griffes du tout-marchand.


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