Libéralisme : capitalisme destructeur (-2-)

2 – L’Antisocial mène la guerre de classes

Privilégié(s)

 

Destruction

Vous vous sentez « privilégiés », vous ? Demandez aux cheminots ce qu’ils en pensent, alors qu’une campagne médiatico-politique s’acharne à les jeter en pâture. Vieille pratique de la doxa libérale à propos de la question sociale. L’autre jour, la ministre des Transports parlait des agents de la SNCF en précisant qu’ils cheminaient dans la vie professionnelle munis d’« un sac à dos » – référence à peine voilée aux fameux « parachutes dorés » des hyper-riches… Dans la bouche de nos gouvernants, tout devient donc possible ! Et puisqu’il convient de déconstruire systématiquement cette novlangue scandaleuse, lisez le livre que publie Thomas Guénolé, Antisocial (éd. Plon), qui s’attache à remettre les paroles à l’endroit et à ne rien laisser passer à ceux qui mènent une guerre de classes… et pensent qu’ils sont en train de la gagner. Une invitation à se réveiller, en somme ! « J’appelle Antisocial le processus politique de destruction du modèle français de solidarité sociale, écrit Thomas Guénolé. Remise en cause après remise en cause, rabotage après rabotage, ce programme nous fait méthodiquement reculer de plusieurs décennies, voire de plus d’un siècle. Quelques exemples suffisent à l’attester. » Et il énumère ce qui, en 2018, nous paraît presque banal, hélas. « Le recrutement d’agents non titulaires dans la fonction publique est devenu un phénomène massif : ils sont près de 1 million en 2015. Pour eux, c’est reculer jusqu’en 1983 (le communiste Anicet Le Pors était alors ministre de la Fonction publique – NDLR), époque où les protections modernes des fonctionnaires titulaires n’existaient pas encore. La retraite à 65 ans est de plus en plus ouvertement débattue : l’appliquer serait reculer jusqu’en 1910, quand cet âge de départ fut adopté. (…) Quant à l’ubérisation du travail, dont les cas les plus connus sont les chauffeurs de voiture et les “autoentrepreneurs”, elle instaure le retour pur et simple de l’ouvrier à la tâche de la fin du XIXe siècle, au temps de la révolution industrielle. Le reste à l’avenant. En d’autres termes, l’Antisocial est un puissant mouvement en marche arrière. » Vous vous croyez à l’abri ? Pour l’auteur, l’Antisocial ne s’arrêtera pas car il en est incapable, et ratiboisera notre système de protection sociale, jusqu’à entamer fatalement les « couches moyennes ». « Si vous ne faites pas partie des 10 % les plus riches, vous ne lui échapperez pas, poursuit-il. Puisque sa finalité est d’accaparer le maximum de ressources au bénéfice de la minorité oligarchique de la population. »

Statut

Ce qui se passe à la SNCF sera bientôt un cas d’école enseigné dans toutes les hautes sphères du pouvoir. Comment passer de l’esprit des services publics à une dislocation en règle de l’idée même ? Primo : laisser l’entreprise s’enferrer dans la gestion de contraintes insupportables. Secundo : se servir de ces dysfonctionnements pour s’attaquer à sa vocation publique. Tertio : baisser progressivement son financement pour qu’il cesse de fonctionner pleinement. Quarto : attiser l’opinion publique pour que les gens s’énervent légitimement et qu’en dernier ressort ils aspirent à autre chose, la concurrence par exemple, puisqu’elle nous est vendue comme l’alpha et l’oméga de la vie sur terre. Voilà, le tour est joué. Vous pouvez casser le statut, changer le régime social de l’entreprise et lancer la privatisation ! Les « couches laborieuses », elles aussi, seront plus ou moins convaincues que, faute de mieux, il « faut en passer par là », « essayer autre chose »… Pendant ce temps-là, rassurez-vous. Certains continuent de dormir tranquilles. Les puissants, les « importants », eux, conserveront leur statut, le vrai statut de classe : celui des privilégiés. Eux paieront toujours les premières classes et biberonneront aux dividendes sans lever le petit doigt, bien à l’abri dans leurs quartiers sécurisés – où ne vivent jamais ni cheminots, ni infirmiers, ni urgentistes, ni agents de la fonction publique, ni même professeurs de lycée, et encore moins ces chômeurs en « fin de droits » sortis des statistiques officielles…

Vendredi, 2 Mars, 2018, le Bloc-notes d’Emmanuel Ducoin dans L’Humanité du 2 mars 2018

L’offensive générale, par Serge Halimi dans Le Monde Diplomatique de Mars 2018

 

 

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