Populisme de gauche : l’impasse ?

L’intention de cette note n’est pas de proposer une analyse du/des populisme(s).

Un phénomène mondial réémergeant fortement depuis la crise de 2008 prenant appui sur les frustrations des couches moyennes et populaires. Un phénomène nationaliste, voire identitaire, autoritaire et xénophobe porté par l’extrême droite et une partie de la droite. Et dont les traits marquants sont la référence au peuple, opposé aux « élites », la tentation de passer par- dessus les corps intermédiaires, la mise en cause des pouvoirs judiciaires et l’accusation des médias, la valorisation d’une « culture » dite populaire mais en réalité aliénante, la réfutation de la lutte de classe, le culte du chef.

Un populisme de gauche ?

Notons que cette notion est utilisée certes par certains acteurs se trouvant à la gauche de l’échiquier politique, mais aussi par les tenants du système pour renvoyer sur le même plan les soi-disant deux extrêmes dans la même détestation et mépris des couches populaires. Et qui se moule aussi dans la campagne visant à rendre obsolète le clivage gauche/droite. Une campagne – et ce n’est pas injurier la vérité de constater qu’elle est déclinée, certes chacun à sa manière, par LREM, le FN, la FI. Mais c’est aussi – et c’est ce qui nous préoccupe ici – une notion justifiée théoriquement.

Ce populisme prend ses racines dans les expériences latino-américaines des dernières décennies. Le populisme de gauche est devenu une référence théorique fondamentale pour différents mouvements progressistes, notamment Podemos et la France insoumise. Ce concept est notamment issu des travaux de deux philosophes, Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, dont l’ambition est de proposer une alternative aux théories libérales de la « troisième voie », mais aussi au marxisme. Il s’agit de penser le politique à partir des multiples demandes et mouvements (de classe, féministes, minorités sexuelles, écologiques, nationaux, etc.). Renvoyé à une « essentialisation uniquement de classe », le marxisme « n’est pas suffisant » pour comprendre les nombreux mouvements politiques.

Comme l’affirme elle-même Chantal Mouffe :  « Le populisme, ce n’est ni un idéal de société ni un régime. C’est une stratégie d’organisation du mouvement politique qui dépend de la conjoncture. Aujourd’hui en Europe, nous vivons un moment populiste en réaction à la post-démocratie, conséquence de la globalisation néolibérale dont l’ennemi est la souveraineté populaire. Derrière des formulations parfois xénophobes, c’est une réaction au libéralisme. C’est comme un cri qui dit “On veut être écoutés, on veut exister”, dans la mesure où le Parti socialiste leur tourne le dos. C’est un terrain fertile pour le populisme de droite. Dans cette conjoncture, il faut développer un populisme de gauche. »  C’est un courant politique qui se fixe pour objectif de « construire un peuple » comme sujet politique en le posant comme un « nous » face à un « eux », selon la discrimination ami/ennemi chère à Carl Schmitt. Et  « pour créer une volonté collective à partir de demandes hétérogènes, il faut un personnage qui puisse re- présenter leur unité, je crois donc qu’il ne peut pas y avoir de moment populiste sans leader, c’est évident »,  ajoute-t- elle.

Ajoutons qu’est revendiquée la mobilisation des affects, des passions. Ces derniers construiraient la formation des volontés collectives susceptibles de faire peuple.

Une impasse

Faut-il voir dans le succès de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, de l’installation de la FI comme première force à gauche (encore que le nombre de députés PS est quasiment l’équivalent de ceux du PCF et FI réunis) le résultat du pari populiste ? Quelle est la part du vote « utile » à gauche pour Jean-Luc Mélenchon aux dépens de Benoît Hamon ? Les dégâts de la politique libérale impulsée par Hollande et dans la foulée le rejet du PS et les difficultés rencontrées pour rendre crédibles le combat politique de classe expliquent certainement le succès du « dégagisme ». L’installation durable de la FI comme force politique s’accompagnera-t-elle de la pour- suite de la stratégie populiste ? L’avenir nous le dira.

Mais il est certain que la stratégie d’opposition entre le peuple et l’oligarchie est dangereusement ambiguë. Si l’on construit le peuple autour d’un leader charismatique, on re- lègue nécessairement au dernier plan l’auto-organisation et l’auto éducation des citoyens. On subordonne la créativité populaire et l’innovation sociale à la cohérence supposée d’une direction unique.

Comme le souligne Pierre Laurent dans son livre  99 %,  il faut choisir entre «  pouvoir citoyen » ou «  culture du chef ». La personnalisation contamine toute la vie démocratique, comme si une personne seule comptait plus que l’intelligence collective sur tous les sujets. C’est une aberration et un anachronisme dans les sociétés complexes du XXIe siècle. Il y a besoin de collectif pour décider et contrôler. Certes est posée la question d’unifier politiquement les « 99 % ». A l’inverse de la FI ce n’est pas dans la mobilisation des affects et la détestation de « l’autre » (oligarchie, médias, corps intermédiaires…), la recherche du clivage, que la construction d’une société émancipatrice verra le jour. Il n’y a pas de raccourci possible sauf à échouer devant les résistances multiples que le système saura mobiliser. Seule une volonté construite en commun autour de choix de civilisation, d’objectifs programmatiques construits collectivement, donc défendus collectivement, pourra annihiler les tentatives de sauvegarde de l‘ordre existant des forces multiples du « système ». On ne fait pas le bonheur du « peuple » à sa place. Il s’agit de construire un « peuple pour » et non un « peuple contre ».

Allons plus loin : devant les évolutions inquiétantes des politiques de domination à l’œuvre, l’urgence de résoudre les problèmes engendrés par la logique d’accumulation du capital, devant les défis (économiques, sociaux, culturels, démocratiques, écologiques…) posés à la planète, l’enjeu est d’aller plus loin que l’insoumission. Il est d’investir les pouvoirs partout où ils permettent d’amorcer une autre logique. En s’appuyant sur des mobilisations massives et majoritaires. La réalité étant ce qu’elle est (sauf à entrevoir une possibilité d’imposer d’autres choix dans un cadre non démocratique), il n’y a pas d’autre voie que celle d’une politique de rassemblements, dans les luttes, les confrontations électorales dans une perspective majoritaire, de toutes les forces mobilisables sur des objectifs progressistes en respectant leur pluralité.  De l’échelon local à l‘international, en passant par celui du cadre national et bien entendu européen.

Patrick Coulon


Comme le dit Chantal Mouffe ci-dessus, ce populisme implique d’avoir un leader, un meneur, un chef. Ce fait est plus que gênant intellectuellement, et il est malsain et dangereux. On tombe inévitablement sur un individu imbu de sa personne, autoritaire, et méprisant pour tous ceux qui ne le suivent pas. Un chef implique aussi des moutons, des adeptes, qui, devant les réticences ou les réflexions, vont acquérir le réflexe de “défense inconditionnelle”. On l’a bien vu, même si le chef dérape parfois, on trouve de suite des arguments pour ne pas critiquer. – (le pcf a connu ces réflexes lors de la période stalinienne, gardons nous en bien) – On a vécu ici localement en 2017 ce genre d’attitude hélas. Nous avions construit en plusieurs mois un bon collectif citoyen, mais au lieu de participer ils (les adeptes) ont eu une réaction brutale et sectaire : c’est derrière nous ou rien !

Ces jours derniers Clémentine Autain avertit ses amis de ne pas poursuivre sur cette voie :

«Une chose est de dire: on range les drapeaux rouges, c’est passé de mode», explique-t-elle dans Politis, en référence au choix de Jean-Luc Mélenchon de privilégier les drapeaux tricolores dans ses rassemblements en 2017, au lieu des drapeaux rouges de 2012. «Une autre est de donner le sentiment qu’on jette dans les poubelles de l’Histoire les acteurs et héritiers du mouvement ouvrier», prévient-elle.

Or nous avons besoin justement pour avancer, face à un ennemi puisant et organisé, de compagnons de route lucides, inventifs, à l’esprit critique, et d’une politique de rassemblement, dans le respect du pluralisme.

Il est possible cependant qu’un mouvement populiste de gauche fasse avancer des idées, crée un élan, lors de circonstances favorables. Il ne faut pas le nier. Mais cela n’enlève rien au danger, et à la nécessité de garder toujours sa lucidité.

L’élection présidentielle au suffrage universel, avec son caractère antidémocratique, (inventée par le général de Gaulle pour prendre tous les pouvoirs), est une situation qui favorise les mouvements populistes. C’est fait pour cela, il s’agit de se ranger derrière une personne, avec toutes les conséquences que cela représente.

Nous n’aurons un changement véritable que s’il est soutenu par un mouvement collectif n’excluant personne.

Et je ne peux m’empêcher de replacer cette phrase d’une chanson mondialement connue : “Il n’y a pas de sauveur suprême, Ni Dieu, ni César, ni Tribun !”


Un article de Pierre Khalfa dans Mediapart : Le populisme de gauche est-il une réponse à la crise démocratique?

Et la réaction de Jacques Bidet à cet article

 

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