Retraites. Les six gros bobards du gouvernement

Afin d’imposer au pas de charge une réforme ultrasensible rejetée tant par les organisations syndicales que par la grande majorité des Français, l’exécutif intensifie sa propagande. De l’alarme à la “caisse vide” à l’intox du compromis et de la “coconstruction”, l’Humanité Magazine passe en revue les pires mensonges et impostures qui vont polluer le débat dans les semaines à venir.

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Voir également mon petit dossier “retraites”

Et dans l’Humanité du 28 novembre 2022

La pilule sera-t-elle moins dure à avaler si on l’enrobe de sucre glace ? Dès l’annonce d’un éventuel recul de l’âge de départ à 64 ou 65 ans (contre 62 aujourd’hui), Emmanuel Macron a promis des contreparties en matière de pénibilité et d’emploi des seniors. Cette vieille méthode de la carotte et du bâton est régulièrement appliquée par les gouvernements à l’approche d’une ­réforme douloureuse : une avancée sociale digne de ce nom ne saurait être actée sans une régression au moins équivalente. En 2016, la loi El Khomri prévoyait une flexibilisation sans précédent du marché du travail, mais l’assortissait de nouveaux droits en matière de formation et de déconnexion. En 2010, le passage de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans s’accompagnait d’une prise en compte de la pénibilité, permettant aux salariés suffisamment démolis par le travail de continuer de partir à 60 ans (à condition de justifier d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 20 %).

Ce type de marchandage vise à redorer le blason de réformes majoritairement rejetées par l’opinion, tout en lézardant le front syndical. Pas sûr que l’opération fonctionne avec l’actuel projet gouvernemental, qui pourrait, selon des rumeurs persistantes, être saucissonné en deux : le recul de l’âge légal serait intégré à un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale en janvier ; les mesures « positives » étant inscrites dans un projet de loi classique à la même période. Penchons-nous sur ces dernières.

Pension minimale : un progrès en trompe-l’œil

Grand prince, le ministre du Travail a déclaré qu’il souhaitait améliorer sa proposition précédente qui prévoyait que tous les nouveaux retraités toucheraient une pension minimale de 1 100 euros pour une carrière complète. Le diable se niche dans les détails. Tout d’abord, cette augmentation n’a rien d’une avancée considérable : le gouvernement précise depuis le début vouloir garantir un minimum équivalant à 85 % du Smic, une mesure déjà inscrite d’ailleurs dans la loi dès 2003, mais jamais appliquée. Le Smic ayant été récemment revalorisé en raison de l’inflation, il est logique que le minimum promis aux retraités suive le mouvement… À l’heure actuelle, si on tenait compte de cette revalorisation, il devrait être fixé à 1 130 euros environ.

Par ailleurs, une spécificité de la proposition en diminue considérablement la portée : seuls les retraités pouvant justifier d’une carrière complète y auront droit. Sur les 5,7 millions de personnes vivant avec des petites retraites (moins de 1 000 euros de pension), soit le cœur de cible de la mesure gouvernementale, cela ne concerne que 32 % de l’ensemble. Près de 70 % des retraités pauvres seraient donc abandonnés à leur sort : ce sont les travailleurs aux carrières hachées (pour cause de chômage, d’interruption de carrière pour garde d’enfants, maladie, etc.) qui perçoivent les pensions les plus faibles. Pour sa part, la CGT dénonce un chantage implicite : « Depuis le départ, l’augmentation du minimum est conditionnée à la réalisation de la réforme, rappelle Régis Mezzasalma, conseiller confédéral. Pire, il est prévu que ce mécanisme n’entre pleinement en activité qu’au bout de cinq ans, c’est-à-dire lorsque l’âge de départ aura atteint 64 ans : c’est une façon d’obliger les salariés à bosser plus longtemps. »

Pénibilité : le compte n’y est pas

À chaque réforme des retraites, son lot de mesures en direction des salariés amochés par le travail. Pourtant, si l’exécutif voulait vraiment adoucir la situation des travailleurs exposés à des métiers difficiles, il pourrait simplement commencer par renoncer aux 65 ans. « S’en prendre à l’âge légal plutôt qu’à la durée de cotisation est bien plus brutal, car cela concerne le bas de la hiérarchie sociale, souligne Serge Volkoff, statisticien et ergonome, spécialiste des relations entre l’âge, le travail et la santé. Les premiers lésés seraient les salariés qui ont commencé leur vie professionnelle tôt, qui occupent des postes peu qualifiés et qui sont plus susceptibles d’être exposés à de la pénibilité. »

L’exécutif assure néanmoins vouloir alléger la facture pour les métiers difficiles, en musclant le compte professionnel de prévention (C2P), aussi appelé « compte pénibilité ». Le C2P ouvre la possibilité à des salariés de partir plus tôt à la retraite, à condition qu’ils aient accumulé suffisamment de points, attribués en fonction de leur exposition à différents facteurs de pénibilité (travail de nuit, répétitif, températures extrêmes, etc.). Entré en application en 2014, ce dispositif a été torpillé sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, qui a supprimé quatre critères sur les dix prévus (agents chimiques dangereux, manutention de charge, postures pénibles et vibrations).

Dans un mea culpa qui ne dit pas son nom, le gouvernement promet de réintroduire trois des quatre critères disparus, mais en laissant le soin aux branches professionnelles de les appliquer à certaines professions. « Pour être honnête, je ne comprends pas du tout comment cela pourrait fonctionner, avoue un bon connaisseur du dossier. Cela voudrait dire que les employeurs définiraient des métiers pénibles en soi, ce qu’ils ont toujours ­refusé de faire. D’ailleurs, le patron du Medef a récemment redit son opposition, au prétexte que cela recréerait des régimes spéciaux ! »

L’exécutif promet également de déplafonner l’acquisition de points et de permettre à ceux qui sont exposés à plusieurs risques simultanés d’en obtenir davantage. Mais il laisse dans l’ombre l’une des principales failles du compte pénibilité, c’est-à-dire la hauteur des seuils à atteindre pour en bénéficier. Par exemple, il faut être exposé au moins 900 heures par an (environ 4 heures tous les jours) à des températures extrêmes (inférieures ou égales à 5 degrés ou supérieures ou égales à 30 degrés) pour y avoir droit. « À ma connaissance, il n’est pas question d’abaisser les seuils, ce qui est pourtant primordial, insiste Serge Volkoff. Aujourd’hui, 1,6 million de personnes se sont constitué un compte pénibilité, ce qui signifie que de très nombreux salariés occupant des postes dangereux à terme pour leur santé en sont exclus. Le gouvernement peut toujours supprimer le plafond de points, cela ne changera rien pour ceux qui seront sous les seuils. »

Emploi des seniors : la stratégie des tout petits pas

Le meilleur pourfendeur du recul de l’âge légal est encore… Emmanuel Macron. Du moins, le Macron de 2019, celui qui lâchait alors ces quelques vérités difficilement contestables : « Tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. Quand, aujourd’hui, on est peu qualifié (…), qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans ! » Du courage, il en faut effectivement : selon l’OCDE, le taux d’emploi des seniors (55-64 ans) en France n’atteint que 56,8 %, contre 62,6 % pour la zone euro. Surtout, selon un rapport parlementaire de septembre 2019, les seniors en emploi sont cantonnés à des postes précaires : 88 % des 55-59 ans et 90 % des 60-64 ans sont embauchés en CDD. Par ailleurs, 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans, rejetées du marché de l’emploi et pas encore à la retraite, survivent avec les minima sociaux.

Pour y remédier, l’exécutif propose deux grands dispositifs : un « index emploi des seniors » et la possibilité donnée à un senior acceptant un travail moins bien payé de conserver une partie de son indemnité de chômage. Cette dernière proposition a suscité une levée de boucliers quasi unanime : elle reviendrait à garantir aux entreprises l’embauche, à moindre coût, de travailleurs expérimentés. Un responsable patronal interloqué a reconnu que « même nous, nous n’aurions pas osé avancer une telle mesure » (le Parisien du 11 octobre), soulignant en creux la violence de la proposition…

Quant à l’index emploi des seniors, il fonctionnerait un peu sur le même principe que l’index égalité hommes-femmes : les entreprises devraient renseigner plusieurs indicateurs dans un registre public (taux de recrutement des plus de 55 ans, dispositifs de formation, etc.). Mais le Medef a déjà refusé toute forme de sanction en cas de mauvaise pratique : si le gouvernement s’aligne sur ces desiderata – ce qui n’aurait rien de surprenant –, il videra­ du même coup le dispositif de sa substance.

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