On peut réduire le chômage de moitié en dix ans – par Jean Gadrey, économiste

Contre le chômage, “ils” essaient tout sauf… ce qui le réduirait vraiment. La raison est simple: “Ils” restent dans la logique de la mondialisation néolibérale, de la course effrénée à la compétitivité par les bas coûts salariaux et les bas coûts de l’Etat, de l’austérité pour le plus grand nombre.

Cette course est un mauvais jeu à somme négative pour l’emploi, et même les pays ou le chômage semble faible voient croître la pauvreté salariale et la pauvreté tout court, parce qu’on y encourage les petits et mauvais boulots en détruisant des protections sociales.

On peut pourtant créer et sauvegarder des millions d’emplois utiles et décents en France dans la période à venir en menant des politiques réalistes, répondant aux besoins urgents, pour lesquelles les moyens existent, sans qu’il y ait besoin d’attendre pour cela le retour d’une croissance qui ne reviendra probablement pas, ou seulement à de faibles niveaux. Plusieurs volets doivent être combinés, chacun correspondant à un potentiel d’emplois utiles.

Le premier est celui des besoins de services du bien-vivre associés à des droits actuellement en deshérence: pour les personnes âgées ayant besoin d’accompagnement, pour la petite enfance, pour les personnes handicapées, pour l’éducation, la santé, la culture et les services publics qui souffrent de l’austérité alors que l’évasion fiscale fait perdre chaque année des dizaines de milliards d’euros aux recettes publiques.

Le second volet est celui de la RTT sans perte de revenu pour 90% des personnes: le partage du travail lié à celui des revenus (la réduction des inégalités). Pas seulement la réduction hebdomadaire (par exemple les 32 heures), mais aussi la RTT tout au long de la vie. Le mouvement historique de RTT a permis dans le passé de créer ou sauvegarder des millions d’emplois. Si on en était encore aux 1900 heures moyennes annuelles des années 1960, on aurait environ 5 millions de chômeurs s’ajoutant aux 5 millions actuels! Or, ce mouvement historique a pris fin en 2002, ce qui a amplifié la hausse du chômage.

Le troisième volet est celui des emplois d’une transition écologique socialement juste. On commence à disposer de scénarios solides. L’enjeu, de type humanitaire, est urgent, pour le climat, la biodiversité, etc. Des centaines de milliers d’emplois, dans leur grande majorité non délocalisables, peuvent – et doivent – être ajoutés pour y faire face.

Dans l’agriculture et dans l’industrie, la chute dramatique des emplois depuis plusieurs décennies pourrait être stoppée ou au moins fortement ralentie si le productivisme était battu en brèche au bénéfice d’une transition vers la qualité et la soutenabilité écologiques, si cette transition s’appuyait sur une sécurité sociale professionnelle, et sur un vrai droit de préemption des salariés lorsque le capital déserte des entreprises viables. Lorsqu’on fait le bilan chiffré de ces volets de création et sauvegarde d’emplois répondant à des besoins d’avenir, on s’aperçoit, comme nous avons pu le faire dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie dans un “manifeste” pour l’emploi, que le chômage pourrait être réduit d’un tiers en 5 ans et de plus de la moitié en 10 ans.

Cela implique toutefois d’en finir avec une politique économique plus ou moins dictée par le Medef et les lobbies bancaires.    (publié dans le journal L’Humanité)

Pour aller plus loin, le blog de Jean Gadrey: http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey

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