Palestine-Israël. Lu dans la presse..

Humanité Magazine titre nov 2023

Lu dans le journal El Watan (Algérie) du 20 novembre 2023 :

Les trois premières pages de ce journal en pdf  (Cisjordanie, ONU..)


Israël-Palestine
Un renoncement français
par Benoît Bréville 

Dans Le Monde Diplomatique de Novembre 2023

Le 23 octobre 1996, au lendemain d’une altercation qui deviendra célèbre avec la police israélienne à Jérusalem, Jacques Chirac rencontre le dirigeant palestinien Yasser Arafat à Gaza. Devant une foule enthousiaste, les deux présidents inaugurent la rue Charles-de-Gaulle. Une décennie plus tard, en avril 2007, le nouveau président de l’Autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas, se trouve à Paris quand il annonce la création prochaine d’une rue Jacques-Chirac à Ramallah. Il n’y aura pas de rue Emmanuel-Macron à Naplouse. Le président français est détesté dans les pays arabes : quand les habitants de Tunis ou de Beyrouth descendent dans la rue pour protester contre la riposte israélienne aux attaques perpétrées par le Hamas et ses alliés le 7 octobre, c’est devant l’ambassade de France qu’ils se rendent, aux cris de « Macron assassin ».

« Il ne peut jamais y avoir de “oui mais”. (…) Israël a le droit de se défendre », a martelé le président français le 12 octobre, dans un alignement parfait de plus avec Washington. Quelques jours plus tôt, M. Joseph Biden avait donné le ton : « Israël a le droit de répondre, il a même le devoir de répondre à ces terribles attaques. (…) Il n’y a aucune justification au terrorisme, il n’y a aucune excuse. » Comme lors des opérations « Plomb durci » (2008-2009), « Pilier de défense »(2012), « Bordure protectrice »(2014), « Gardiens des murailles »(2021), « Aube naissante »(2022), le gouvernement israélien a le champ libre pour conduire son projet « Glaive de fer ». Coupures d’électricité et d’eau, déplacements de populations, bombardements sans discrimination : il peut agir à sa guise, sans retenue, sans risquer aucune remontrance de ses alliés. Si ce n’est des déclarations symboliques et sans conséquences, dont M. Macron n’est jamais avare.

On peine aujourd’hui à le croire, mais la France a longtemps été réputée amie du peuple palestinien. Pendant des décennies, ses dirigeants n’hésitaient pas à dénoncer la colonisation, l’occupation, les expulsions, les humiliations, tous ces « oui mais » aujourd’hui bannis du vocabulaire officiel. Le général de Gaulle s’est ainsi opposé avec virulence à l’offensive israélienne de juin 1967, décrétant même un embargo sur les ventes d’armes. Quelques mois plus tard, il déclarait lors d’une conférence de presse (27 novembre) : « Maintenant, Israël organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut pas aller sans oppression, répression, expulsion, et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’il qualifie de terrorisme. »

Depuis, chaque président (jusqu’à l’élection de M. Nicolas Sarkozy) a eu ses coups d’éclat, ses gestes symboliques, ses décisions diplomatiques, irritant bien souvent Tel-Aviv et Washington. Georges Pompidou, quand il a développé les exportations d’armes françaises aux pays arabes ; Valéry Giscard d’Estaing, pour avoir entamé le dialogue avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et poussé à l’adoption par la Communauté économique européenne de la déclaration de Venise, qui affirme le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ; François Mitterrand, quand il a prononcé les mots « OLP » et « État palestinien » dans un discours à la Knesset en 1982, puis reçu Yasser Arafat à l’Élysée en 1989. Quant à Jacques Chirac, il reste dans la mémoire de nombreux Palestiniens, non seulement pour l’accrochage de 1996, mais aussi pour son opposition farouche à la guerre en Irak de 2003, puis pour avoir accueilli Yasser Arafat malade et avoir été le premier chef d’État à lui rendre hommage après son décès.

Ce « non-alignement » français s’inscrivait dans le cadre plus vaste d’une « politique arabe » voulue par de Gaulle à partir de 1967, à une époque où les relations de Paris avec le Maghreb et le Proche-Orient étaient pour le moins tempétueuses. Et pour cause : la France avait participé, aux côtés des Israéliens et des Britanniques, à l’expédition militaire de Suez en 1956, puis s’était accrochée avec la Tunisie sur la rétrocession de la base navale de Bizerte en 1961, trois ans après avoir bombardé le village de Sakiet Sidi Youssef. Sans même parler de la guerre d’Algérie, qui laissait derrière elle des centaines de milliers de morts. Autant dire que Paris jouissait d’une image particulièrement dégradée.

De Gaulle avait compris toute l’importance du monde arabe, où la France avait des racines anciennes, héritées de la période coloniale et mandataire. Riche en pétrole, la région disposait d’un poids géostratégique grandissant, tout en restant relativement à l’écart des divisions de la guerre froide. Paris pouvait espérer y jouer autre chose qu’un rôle de figurant, en traçant une voie originale entre les deux blocs, en se servant des pays arabes comme d’un relais, une caisse de résonance en direction du tiers-monde. Désireux de maintenir une influence française après la fin de l’empire colonial, de Gaulle s’employait à dégager son pays de l’ombre américaine, en développant une force de dissuasion nucléaire indépendante, en quittant le commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), en critiquant l’engagement militaire américain au Vietnam lors du discours de Phnom Penh(1966)…

« La France n’a pas de politique arabe, pas plus qu’elle n’a de politique chinoise, mais elle a une politique de ses intérêts en direction des pays arabes », expliquait Michel Jobert, l’un des artisans de cette stratégie (1). Parfois, ces intérêts commandaient de se ranger derrière les Américains, comme lors de la guerre du Golfe de 1991 — une position vécue comme une trahison dans les pays arabes. Mais, souvent, ils impliquaient de s’en distinguer et cela garantissait à Paris une certaine popularité dans le monde. Après sa condamnation de l’invasion américaine en Irak en 2003, Jacques Chirac traversait Alger et Oran comme un héros, sous les acclamations de centaines de milliers de personnes ; il fut accueilli par une foule en liesse à Tombouctou. Depuis, la France a dû s’habituer aux protestations devant ses ambassades, du Niger au Liban, du Burkina Faso à la Tunisie, du Tchad à l’Iran.

Les présidents français se contentent désormais de suivre le chemin tracé par Washington sur le dossier israélo-palestinien, en soutenant Tel-Aviv et en traitant toujours davantage ce conflit territorial comme relevant de la « lutte contre le terrorisme ». En 2009, après trois semaines de bombardements intensifs sur Gaza, M. Nicolas Sarkozy indiquait que « les Européens sont aux côtés d’Israël pour assurer son droit à la sécurité ». Cinq ans plus tard, tandis que Gaza était à nouveau pilonné, M. François Hollande assurait sa pleine « solidarité » au gouvernement israélien, qu’il jugeait « habilité à prendre toutes les mesures pour protéger sa population ». Et maintenant, M. Macron…

Cet alignement atlantiste, outre qu’il contribue à ternir l’image de la France dans les pays du Sud, paraît absurde à plus d’un titre. En suivant scrupuleusement Washington sur tous les dossiers stratégiques, de l’Ukraine au Proche-Orient, Paris lie son destin à celui d’une puissance déclinante et contestée. À l’heure où de nombreux États aspirent à un ordre mondial multipolaire, la France devrait chercher de nouvelles alliances et renouer avec son statut de puissance médiatrice, plutôt que de se mettre à dos une bonne partie de la planète. La nouvelle guerre de Gaza illustre encore une fois l’hypocrisie des Occidentaux, qui brandissent le droit international pour justifier leur soutien à l’Ukraine, mais l’oublient au sujet des Palestiniens. Un « deux poids, deux mesures » que M. Vladimir Poutine, lui-même spécialiste en la matière, ne manque pas de dénoncer, avec un certain écho.

Non content d’abaisser le crédit international de la France en alignant Paris sur les États-Unis, M. Macron remet en cause sa réputation de défenseure des libertés publiques. Quand il s’exprime sur la politique étrangère, le président se drape dans les valeurs de la liberté, de la démocratie, de la tolérance, pour mieux fustiger les régimes autoritaires. Des valeurs hissées au rang de nouvelle religion séculière, dont la mise en cause, ou même la discussion, relèverait de l’hérésie. Ainsi, pour défendre sa politique étrangère « libérale », M. Macron en vient à multiplier les mesures liberticides. La France est — avec la Hongrie de M. Viktor Orbán — le seul État européen à avoir interdit, à l’échelle nationale, les rassemblements de solidarité avec les Palestiniens. À Bruxelles, à Barcelone, à Copenhague ou à Vienne, on pouvait lire sur des pancartes « Boycott Israel ». En France, une telle inscription serait aussitôt taxée d’antisémitisme et, encouragés par des journalistes, des ministres se relaieraient sur les plateaux de télévision pour réclamer des poursuites.

Souvent sur demande du ministère de l’intérieur, des enquêtes pour « apologie du terrorisme » ont été ouvertes contre le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui a exprimé son « soutien aux Palestiniens et aux Palestiniennes et aux moyens de lutte qu’ils et elles ont choisi pour résister » ; contre la députée de La France insoumise (LFI) Danièle Obono, qui a maladroitement qualifié le Hamas de « mouvement de résistance qui se définit comme tel » ; contre le Parti des Indigènes de la République. Mais aussi contre un joueur de football niçois, deux syndicalistes, un élu socialiste d’Échirolles… M. Gérald Darmanin a également annoncé le lancement de « procédures de dissolution » contre « plusieurs collectifs relayant et parfois finançant de manière officieuse et cachée le Hamas ou des mouvements autour du Hamas ».

La chasse aux sorcières vire au ridicule quand un restaurant de Valence est menacé par des policiers municipaux de fermeture administrative s’il n’éteint pas son enseigne lumineuse : à cause de quelques ampoules grillées, le « Chamas Tacos » était devenu le « Hamas Tacos ». On en sourirait si le ridicule ne prenait pas parfois un visage inquiétant, comme aux États-Unis, où des étudiants de Harvard paient cher une lettre ouverte soulignant les responsabilités d’Israël dans l’attaque du Hamas. Le document initial ne mentionnait pas leurs noms, mais ceux-ci sont rapidement apparus sur les réseaux sociaux. Aussitôt, des cadres de Wall Street ont établi une « liste noire », pour empêcher leur embauche. Financé par un groupe de pression conservateur, un camion doté d’un écran géant sillonne les alentours du campus, en faisant défiler les noms et les visages des « antisémites notoires de Harvard » (2). Après s’être alignée diplomatiquement sur les États-Unis, la France est-elle en train d’en importer les pires travers, y compris ceux de la paranoïa et du maccarthysme, au nom de la guerre des civilisations ?

Benoît Bréville

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