RN : Le Pen, Bardella & Cie volent au secours du Capitalisme et des Ultra-riches

« Ils préparent un capitalisme totalement dérégulé » : Le patronat main dans la main avec l’extrême droite

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Une part grandissante des milieux d’affaires ont décidé de mettre leur argent et leur entregent au service de l’extrême droite française pour lui permettre de conquérir le pouvoir. Un mariage récurrent dans l’histoire et dangereux pour la démocratie selon les intervenants d’un débat organisé à l’Agora de la Fête de l’Humanité.

C’est une alliance inquiétante. Ces dernières années, aux États-Unis, en Argentine, en France ou ailleurs, une partie des acteurs du monde économique a décidé de mettre ses ressources au profit de l’extrême droite pour la porter au pouvoir. Par adhésion idéologique ou pur opportunisme.

Pour analyser ce mouvement de fond, l’Humanité a organisé un débat avec Nathalie Bazire, secrétaire confédérale à la CGT chargée de la lutte contre les idées d’extrême droite, la sociologue Marlène Benquet, Thomas Lemahieu, journaliste à l’Humanité et Laurent Mauduit, écrivain et cofondateur de Mediapart.

Comment se sont opérés ces rapprochements entre le patronat et l’extrême droite, et comment expliquer cette porosité ?

Mauduit Laurent

Ecrivain et cofondateur de Mediapart

L’extrême droite n’est jamais arrivée au pouvoir sans l’appui ou le consentement des milieux financiers. Nous nous trouvons de nouveau dans un moment de bascule. Lors des législatives de juillet 2024, pour la première fois depuis 2002, le Medef a refusé de participer au barrage républicain. Jusque-là, le patronat, pour des raisons économiques, s’opposait au FN, puis au RN.

C’est fini ! En 2024, on a vu Henri Proglio, ancien patron d’EDF puis de Veolia, s’afficher publiquement avec Marine Le Pen. En enquêtant, j’ai également découvert que le président du Medef, avant les législatives, avait rencontré secrètement Marine Le Pen. Et il y a tous ces patrons ouvertement d’extrême droite, comme Vincent Bolloré ou Pierre-Édouard Stérin.

 

Mais d’autres, moins médiatisés, comme le groupe Dassault, sont également concernés. Le directeur de la rédaction du Figaro, Alexis Brézet, journal dont Dassault est propriétaire, a été la plume du député d’extrême droite Jean-Marie Le Chevallier. Et puis, il y a ceux qui ne s’affichent pas ouvertement à l’extrême droite, mais qui font son jeu, comme Bernard Arnault, la première fortune française, qui soutient massivement Vincent Bolloré par la publicité et avec qui il discute de la vente du Parisien.

Lemahieu Thomas

Journaliste à l’Humanité

Pierre-Édouard Stérin présente une spécificité, désormais bien identifiée, qu’il faut continuer à pointer collectivement, car c’est un travail citoyen, politique et social. Pierre-Édouard Stérin injecte de l’argent dans toutes les strates du pays, dans des observatoires pour influencer le débat public, fabriquer l’opinion en déformant les faits historiques ou en investissant dans l’éducation avec ses écoles privées hors contrat. Tout son argent est mis au service de son idéologie, avec pour objectif de porter l’extrême droite au pouvoir.

Benquet Marlène

Sociologue

Depuis les années 2000, il n’existe plus de frontières ou de barrières entre les milieux d’affaires, y compris le grand patronat, et une partie de l’extrême droite. Il y a d’abord un patronat de conviction dans certains milieux financiers, notamment dans la finance alternative, la tech, la finance classique, et dans le secteur des énergies fossiles.

Ensuite, il y a le patronat de l’industrie et des services, qui adopte un soutien plus « opportuniste ». Ce n’est pas un patronat militant, mais un patronat qui, par opportunisme et prudence, commence à tisser des liens avec l’extrême droite, au cas où elle arriverait au pouvoir.

Bazire Nathalie

Secrétaire confédérale à la CGT

Après la crise de 1929 et surtout la montée du Front populaire, les grands patrons, très inquiets des revendications des travailleurs, se sont tournés vers les nationalistes. Ces revendications, d’une certaine manière similaires à celles d’aujourd’hui – congés payés, réduction du temps de travail, augmentation des salaires, prise en compte des conditions de travail –, ont poussé le grand patronat à utiliser la peste brune comme un rempart contre le danger « rouge ».

On observe un rapprochement de plus en plus marqué des syndicats patronaux avec l’extrême droite depuis 2017, et encore plus depuis 2022. Cela suggère une réceptivité croissante du patronat aux idées nationalistes.

Le libertarianisme est-il le point de rencontre entre le libéralisme économique et l’extrême droite ?

Marlène Benquet : Il faut se demander ce qu’est le néolibéralisme et pourquoi il change. C’est le moment du capitalisme qui assume qu’il y a moins de protection sociale et que les marchés gèrent l’économie en échange de libertés civiques et civiles à peu près garanties. Il dit aussi aux citoyens que s’ils travaillent vraiment beaucoup, les meilleurs seront récompensés avec un peu de méritocratie.

Le libertarianisme autoritaire est une autre manière de gérer le capitalisme : libertarien sur le terrain économique et autoritaire sur le terrain politique. C’est l’idée selon laquelle la liberté d’accumuler et le droit de propriété sont une liberté fondatrice de nos sociétés humaines. Elles devraient même primer sur les autres libertés, y compris démocratiques.

Selon cette logique, il faut donc réduire l’État pour qu’il soit le moins redistributif, interventionniste et « obèse » possible pour ne pas empêcher l’accumulation. Il faut donc adjoindre la répression pour empêcher la contestation. Ce libertarianisme autoritaire s’est développé en Argentine avec Javier Milei, au Brésil avec Jair Bolsonaro, aux États-Unis avec Donald Trump ou encore au Royaume-Uni avec Theresa May ou Rishi Sunak.

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Cette dynamique fait aussi se renouveler l’extrême droite française et rend possible une jonction avec le patronat, lequel se disait jusqu’ici qu’il n’était pas possible de faire des affaires avec le RN et sa ligne « sociale souverainiste ». Tout démarre en 2018, à la fin de la parenthèse Florian Philippot, lorsque Marine Le Pen fait applaudir Steve Bannon, conseiller de Trump, lors de la soirée de fondation du RN.

À partir de 2021, on assiste à une forme de division politique du travail avec, d’un côté, Éric Zemmour et Marion Maréchal sur une ligne très pro-business, et de l’autre, le RN avec une ligne plus « sociale ». Mais depuis 2024, l’orientation zemmouriste a été en partie réinternalisée au sein du RN.

Laurent Mauduit : Chacun connaît la formule d’Albert Camus : « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Comme Marlène Benquet, j’ai la conviction que nous nous trouvons à l’aube de l’émergence d’un nouveau type de capitalisme.

Seulement, pour moi, le libertarianisme n’est pas autoritaire mais fasciste. Il faut qualifier les choses telles qu’elles sont. Cela fait vingt ans que Peter Thiel, fondateur de PayPal, proche de Donald Trump et ami d’Elon Musk, a écrit dans un blog être arrivé à la conclusion que la liberté était incompatible avec la démocratie. L’un de ses inspirateurs, le blogueur Curtis Yarvin, se demandait à la même époque ce qu’on reprochait aux nazis. Ce sont des propos fascistes !

Le salut hitlérien de Musk vient de loin. Ils préparent un autre monde avec un capitalisme totalement dérégulé qui remet en cause les fondements de la démocratie et de l’État de droit. Ils veulent le capitalisme sans la démocratie. Dans mon enquête, je me suis donc intéressé aux connexions, secrètes ou non, entre les hommes d’affaires et le RN, mais aussi entre les grands patrons français et l’extrême droite américaine.

On sent que les premières vagues du capitalisme libertarien arrivent en France, notamment via les cadres dirigeants de la tech française. Particulièrement dans les milieux de la cybersécurité où ceux qui étaient hypermacroniens se sont convertis à l’extrême droite.

Marlène Benquet : Le libertarianisme autoritaire est fasciste parce que c’est un mode de gouvernement violent fondé sur la répression des classes populaires et de toutes les minorités, comme sur la défense, quoi qu’il en coûte, des intérêts patronaux.

Mais il se distingue du fascisme tel qu’on l’a connu en Europe qui voulait que toutes les individualités se fondent dans une société complètement homogène dont toute personne différente serait exclue. Là, c’est au contraire un individualisme radical selon lequel chacun est absolument seul sans qu’il y ait de solidarité ni entre les gens ni entre les générations.

En tant que responsable syndicale, Nathalie Bazire, sentez-vous que les travailleurs ont conscience de ces convergences entre les puissances de l’argent et l’extrême droite ?

Nathalie Bazire : Il faut réaliser un travail de fond d’éducation populaire. Rappeler qu’ils veulent casser les services publics, qu’ils ne proposent rien pour la Sécurité sociale, qu’ils refusent d’augmenter les cotisations… Nous devons redonner des outils aux travailleurs et travailleuses de ce pays. À la CGT, nous n’avons de cesse de rappeler que l’extrême droite est l’amie du capital en plus d’être xénophobe, raciste et homophobe.

Parfois, nous avons l’impression d’enfoncer des portes ouvertes mais il faut répéter et encore répéter. Notre rôle est aussi de donner un nouveau souffle, comme nous avons su le faire en juin 2024. Les organisations politiques ne pourront pas faire sans les organisations syndicales.

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L’inverse est aussi vrai. Il est minuit moins cinq. Pour gagner contre l’extrême droite, il faut obtenir l’abrogation de la réforme des retraites, les revalorisations salariales, l’égalité salariale. Créer des syndicats sur le lieu de travail, c’est un élément clé.

Thomas Lemahieu, comment Pierre-Édouard Stérin et d’autres avancent-ils leurs pions dans la bataille idéologique ?

Thomas Lemahieu : Pour Stérin, les choses coincent. Il a essayé, en juin, de faire un « sommet des libertés » pour mettre en scène une union des droites d’Éric Zemmour, Jordan Bardella, Marine Le Pen à Édouard Philippe. Pour le moment, ils n’arrivent pas à bâtir cette coalition électorale pour être sûrs de gagner.

Le « sommet des libertés » a été un fiasco car il n’a finalement rassemblé que l’extrême droite, les promoteurs des cryptomonnaies et les vieux anticommunistes et antisyndicalistes des années 1970, eux aussi financés par Périclès. Pour l’instant, tous ne convergent pas mais le danger est énorme. Ce qui ne les empêche pas d’usurper Gramsci sur l’hégémonie culturelle.

Ils ont fait entrer dans le débat public des idées qui étaient, il y a quelques années, insupportables. Il nous faut réduire cette fenêtre d’Overton. Comme le disait Gramsci, la révolution a besoin d’un héroïsme généreux mais surtout d’un travail tenace, minutieux et persévérant. C’est à cela que l’on veut contribuer.

Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !

C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.

Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.
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